Insider View with Swiz

Source: dgtalkid.blogspot.fr
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Lorsque je l’ai foulé la première fois aux alentours d’octobre 2010, il n’était pas Mausolée mais simplement un lieu, dont Lek m’avait parlé avec enthousiasme, et avait bien pris soin de me prévenir que si je les y accompagnais, il me faudrait ensuite n’en parler à personne… C’est donc presque les yeux bandés que j’ai la première fois sauté la porte réhaussée de longs pics en métal qui séparait la petite ceinture de cet espace à l’abandon, celle-là même que je n’aurais sans doute pas franchie si d’aventure j’avais erré seul au bout de la petite allée jonchée de déchets, matelas et de merde fraîche.. “Ah wai faut sauter ça,mais…elle tient bien la gouttière là?”

 

A cette époque, tout y était quasi vierge mais les deux “proprios” s’y déplaçaient déjà avec aisance, on ne pouvait y voir que quelques peintures de Lek, Sowat, Fléo et deux ou trois tags de Keboy et Wxyz, tracés à la craie sur les murs encrassés à l’extérieur du bâtiment. Ce jour là, je ne sais même plus si j’ai peint, il est souvent difficile de déniaiser de tels endroits…Trop d’espace…Que faire , où, comment? J’ai en revanche pris le temps d’y errer, arpentant les escaliers sombres couverts d’inscriptions racistes, les larges étages froids. Le lieu m’a paru immense, interminable et je m’y suis perdu comme on aime s’égarer dans une ville que l’on visite pour la première fois, à la recherche d’heureuses découvertes…

 
Mais ici-bas, rien d’heureux, j’ai immédiatement été confronté à l’histoire du lieu, non au supermarché qu’il fut longtemps, mais au lieu de vie qu’il avait été peu de temps avant notre arrivée pour de nombreuses familles roms, délogées quelques mois auparavant du seul espace qu’elles pouvaient considérer leur, par le chef de l’état et ses sbires. En marchant dans les salles, on pouvait imaginer leur vie dans cet espace,l’organisation de survie qui y régnait. Mais plus encore ici que dans les espaces inhabités que j’avais pu visiter auparavant, je fus frappé de l’état du lieu au moment où je l’ai découvert, comme figé dans le temps, resté bloqué à ce moment précis de son histoire où “l’expulsion immédiate de tous les occupants des lieux” avait été imposée.

Les mois qui suivirent, je retournai assez souvent au “spot”,alternant les peintures avec les deux gardiens du temple Sowat et Lek, qui décidèrent de faire de ce parking un lieu d’expérimentation artistique. Ici , la volonté de s’écarter des codes d’un graffiti égocentrique et restrictif basé sur le pseudonyme et la répétition régnait, laissant place à l’expérimentation collective, chacun intervenant sur les formes de l’autre, les réinterprétant, se les réappropriant librement. Y entrer nous apparaissait chaque fois plus comme un exutoire à nos quotidiens, nous laissions derrière le périphérique nos problèmes respectifs et passions des journées entières dans la pénombre de ces parkings, plus glacés chaque jour. Ces milliers de mètres carrez auraient pu nous sembler glauques si nous ne nous efforcions d’y insuffler la poésie de nos errances picturales. De nouveaux “invités” venaient régulièrement se frotter à la saleté des murs et des sols, chaque fois plus étonnés de l’ampleur des productions qui y étaient réalisées, portant sur eux leur peinture et leur énergie nouvelle, pour ramener chaque jour un peu plus à la vie ce qui devenait peu à peu le”Mausolée”. Au fur et à mesure, nous domptions ce lieu, le faisions nôtre, y laissions notre matériel, presque persuadés que nous étions les seuls à en connaître l’existence, passant des étages aux sous-sols totalement privés de lumière, là où l’imaginaire transforme une peluche de singe en cadavre… Ce qui rassemblait tous les peintres ici reste aujourd’hui assez difficile à décrire, simplement une volonté commune de partager des formes, des couleurs, à l’abri du monde extérieur, que nous apercevions parfois, grouillant sous les fenêtres grillagées.

Puis le printemps est arrivé, j’ai espacé mes visites au Mausolée,besoin de peindre autre chose, dehors…Seul aussi. J’y suis retourné sporadiquement pendant un an, découvrant à chaque fois de nouvelles interventions. J’y ai moins peint et ai pris le temps de le photographier. A aucun moment il n’était question d’exposer ce qui devenait peu à peu un travail quotidien, un investissement énorme pour Sowat et lek. Je rejoignis Lek un soir, seul dans une pièce noire, armé d’une lampe de poche achetée au chinois du coin et d’une bombe noire, activé à segmenter de ses lignes chaque mètre carré de surface blanche, ou plutôt grisâtre. Et c’est sans doute dans cette détermination et la gratuité de l’acte que réside la poésie de leur projet, ce qu’aucun musée où salle de vente ne transcrira jamais…Ce qui n’apparait pas sur les quelques photos que je poste depuis mon petit ordinateur, bien au chaud chez moi…Le manque d’hygiène, la saleté du lieu que nous ramenions chaque fois chez nous et dissipions dans nos machines à laver 1400 tours/minute et les ombres de ses habitants passés qui nous suivaient à chaque pas.

Photos: Swiz sauf Photo 8 par Clickclaker
Peintures: Sowat, Lek, Jayone, Gilbert1, Spei, Swiz, Outside, O’clock