Source: Chrixcel
Lek découvre en 2010 un supermarché abandonné voué à la démolition. Ce terrain vierge de tout tag est une aubaine et donne lieu au projet “Mausolée”.
Le Mausolée à l’époque de l’immaculée conception – Photo : ClickClaker
Lek et Sowat commencent d’abord à investir les lieux, situés à la lisière de Paris, avec quelques autres graffeurs de leurs crews respectifs. L’idée germe vite dans leur tête d’en faire une résidence artistique sauvage dans laquelle quelques artistes et photographes (40 artistes pour 40 000 m² au total) seront conviés à suivre et participer à l’évolution de ce qui deviendra le “Mausolée”.
Quelques mois plus tard, un superbe livre sort aux Editions Alternatives, et le secret si bien gardé éclate au grand jour.
Le choix d’une édition française était symbolique, précise Sowat : « Le projet s’est déroulé à Paris, avec des artistes d’origine française, dans un bâtiment squatté puis vidé par les forces de l’ordre, donc, d’une certaine manière, il était le reflet d’un drame social, politique et humain français. Les traces de vies que nous avons trouvé à l’intérieur, les écritures sur les murs, les lettres abandonnées et les cahiers d’écoliers étaient pour la plupart en français donc ça n’avait pas de sens pour nous de chercher à convaincre une maison d’édition à l’étranger. Ensuite, on connaissait déjà Alternatives pour avoir sortis d’autres livres avec eux. On savait d’expérience que ce n’était pas le genre de maison à mettre la main dans le contenu au détriment du projet”.
A l’issue d’un rendez-vous fin octobre 2011 avec Charlotte Gallimard, Directrice chez Alternatives, tout s’est fait très vite. Après un travail d’arrache-pied, le livre est sorti 6 mois plus tard.
Nous aussi, nous avons voulu aller jouer au Casino et vous faire partager notre visite de ce musée underground des plus insolites.
Vue du toit avec Apotre, Lek & Sowat
On n’entre pas dans le Mausolée comme on entre au cimetière. Si vous n’êtes pas adepte de la varappe, vous en serez quitte pour les courbatures, de bons hématomes et quelques frissons. L’endroit n’est pas exactement une promenade de santé, et on peut facilement imaginer ce qu’ont pu endurer les artistes et tograffs venus régulièrement courant 2011 dans ce blockhaus monté sur 4 étages. Passés la voie ferrée, des monceaux de sacs poubelles et quelques mines patibulaires, nous voilà grimpés sur une valise trouvée sur place, à se hisser au dessus du vide entre les pics en fer, les fils barbelés et les grilles rouillées.
Claustrophes, passez votre chemin et photographes, équipez-vous d’une torche et d’un trépied ! Lek et Sowat seront les guides omniprésents de ce trip ascensionnel au gré des marches d’un escalier sombre. Ici, sur le parvis, nous sommes “Outside” (L’Outsider).
Ces quelques mètres carrés de verdure et d’ordures offrent notamment à voir cet “EscaLek” qui ne mène nulle part. La porte du haut a été scellée.
Au fond de la parcelle de terrain se trouve un système de clim investi par Lek et WXYZ (1984). Traitement photo patchwork !
Un étroit escalier jonché d’immondices mène à une porte entrebâillée. C’est le sous-sol. Munis d’une lampe, nous nous dirigeons à tâtons dans l’obscurité la plus totale, jusqu’à trouver une porte coupe-feu qui conduit après quelques pas au coeur même du tombeau : un puits de lumière a donné naissance à un jardin circulaire au sein duquel Lek, Sowat, Seth et Dem189 se sont livrés à un exercice de stèle tout en styles.
Les 3 vanités de Seth, telles des déesses tutélaires, sont les gardiennes d’une pierre tombale centrale en béton qui abrite peut-être les restes d’un pharaon sans blaze.
Avec son sol moussu et ses deux arbrisseaux, ce jardin est un havre de paix, seul poumon du bâtiment dans lequel on s’attarde pour admirer les détails de l’oeuvre collective avant de retourner dans le dédale noir, crasseux et nauséabond.
Un autre “EscaLek” forme une tache de lumière colorée de forme rectangulaire, surmonté d’une grille qui donne sur la rue, dont on perçoit le sourd brouhaha.
Le “Monster” des bas-fonds peint par Dem189 fait écho à celui du 1er étage qui, tel un panneau de signalisation fléché, nous incite à suivre la direction indiquée.
Avec ce livre, l’une des motivations des deux auteurs était de toucher des gens qui traditionnellement ne s’intéressent pas au graffiti, voire le méprisent et d’une certaine manière, leur impression pour le moment est d’avoir réussi leur pari en bravant les clichés sur le mouvement et en changeant certains regards. En invitant des artistes aux styles et techniques très différente et en montant un projet difficile et sans sponsor, Lek et Sowat ont beaucoup appris tant sur le plan artistique qu’humain. Des amitiés se sont créées avec des artistes, avec lesquels ils continuent de travailler.
Au premier étage, Lek et Sowat se sont attelés à momifier les piliers et les carcasses de voitures à l’aide de bandelettes de plastique et de cellophane, travaillant les matières et les objets en de véritables installations in situ.
Le clair et l’obscur luttent en permanence dans cet endroit où le noir de la suie se mêle au blanc de la peinture. Sowat joue du noir et blanc au travers de ses calligraphies dégoulinantes.
Dem189 n’est pas en reste et c’est dans une chambre noire qu’il choisit de réaliser cette composition filaire comme on tisse des vêtements, lesquels pendent, plus desséchés que jamais, sur une corde à linge.
Le rouge, signe de vie dans cette ambiance post-squat, apparaît en touches bien distinctes comme dans ce palais des “T” (Brusk & Sowat).
Il se scribouille sous forme d’écritures pourpres (Sowat)…
Zigzague au travers de compositions abstraites (Lek, photo Sowat)…
S’incruste par petits traits éparses (Katre).
A l’instar de Seth, Bom.K, Jaw, Lek & Sowat ont choisi de représenter la mort dans une fresque qui se terre dans la pénombre.
Kan et Sowat encastrent un mot, on semble lire “Slave” (?) dans le décor. Il fait écho au malaise constant que l’on ne peut s’empêcher d’avoir en foulant le sol jonché de traces de l’existence d’esclaves de la misère qui se sont tapis là…clochards, réfugiés, ces “loques à terre” victimes de l’expulsion ont du y vivre des drames, peut-être. Le froid, le spleen et la faim, sûrement.
Pour ancrer leur peinture dans l’espace, les artistes n’hésitent pas à découper le grillage, comme pour cette fresque aux formes géométriques réalisée par Lek, Sowat, Swiz et O’Clock (montage).
Les flaques permettent de faire de remarquables prises de vue ! – Photo de sÖke (Lek Swiz & Fléo), voir son site.
Et quand on n’a pas d’eau sous la main, on s’amuse avec des effets floutés (Monsieur Qui, Siao, Lek & Sowat).
Les formes et lignes fragmentées de Lek, Swiz et Outside semblent se fondre avec les arêtes des meubles au sol.
Ici, un lettrage fléché de Fléo s’étend aux piliers alentours.
La 3D de Manyak aux couleurs végétales assorties aux écritures de Sowat flotte au dessus d’un tas de détritus.
Gilbert1 nous rappelle par une figure de style bien connue (un chiasme !) combien l’art parfois est une lutte pour certains…qui s’expriment dans des lieux sales et délaissés quand ils n’exposent pas en galerie ! Mais aussi, quelle belle leçon de liberté…
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Si le fait de pénétrer dans une propriété privée est interdit, l’entrée dans le spot avant la sortie du livre de toute autre personne étrangère au projet aurait pu le faire capoter ! Le risque de sacrilège était grand et pourtant tous les participants, conscients de ce que ce Mausolée muselé comportait comme potentiel, sont restés des tombes.
Grâce à eux, le lieu est resté préservé jusqu’au 12 avril 2012, date de l’expo officielle ouverte au public pour la sortie du livre. Aujourd’hui, nous pouvons les remercier de nous avoir fait partager ce secret et de nous avoir donné le privilège de voir une oeuvre pensée dans son ensemble, tricotée de craintes et de contraintes, à la fois ouverte et énigmatique, vive et sombre, belle et aboutie, qui a également donné lieu à un site dédié et un film.
Si vous souhaitez vous y aventurer, nous vous recommandons la plus grande prudence car l’accès est dangereux ! Faisons le pari fou que le travail des artistes, qui ont beaucoup donné dans ce projet, sera respecté le plus longtemps possible à présent qu’il a été porté à la connaissance de tous. Nous ne savons pas encore combien d’années ce bunker bétonné tiendra encore…les peintures, elles, ont nous l’espérons vocation à rester intactes d’ici-là.
Romi, Bims, Rems, Skio (Ghetto Farceur Crew), Lek & Sowat
Lek et Sowat n’ont aucune idée de futur projet pour l’instant. Les 20.000 mètres carrés de friches que le Palais de Tokyo vient d’inaugurer dans son bâtiment ne sont pas passés inaperçus. Si son directeur cherche une idée pour occuper son espace neuf, ils se tiennent prêts. L’appel est donc lancé, si toutefois il lit FatCap !
Merci à Sowat pour avoir répondu à nos questions.
Les participants : BLO, BOM.K, BRUSK, GRIS1, JAW, KAN, SOWAT (DMV), APOTRE, WXYZ (1984), TCHEKO (LCA, 1984), LEK (LCA, RAW,1984), FLEO (GNS, TLN, TMG, LCA), SMO (SAC) – SWIZ (16T, N13, French Kiss), – DEM189, SETH (LBD) – BIMS, PAUM/SARIN, REMS, SKIO, (Ghetto Farceur), – BOYANE, BUTTERFLY, CLICKCLAKER, DOMONE, GILBERT1, HOBZ, HONDA, JAYONE (BBC), J.P, KATRE, KEBOY, MANYAK (115, DT15, GM, OPC, W73, GM), MONSIEUR QUI (132), O’CLOCK (156, LT27), OMICK, ONDE, OUTSIDE, SAMBRE (French Kiss), RES, ROM, R. SKYRONKA, SHOOK, SIAO, SPEI, THIAS, (PGC).
Il est impossible en un seul article de montrer toutes les œuvres et photos, vous les retrouverez dans le livre : Mausolée, Résidence artistique sauvage par Lek & Sowat, Editions Alternatives. 256 pages, 24×34 cm. Sorti le 13 avril 2012, il coûte 39 euros.
Le site : https://mausolee.net/
Quelques photographes ont créé un groupe Flickr sur le lieu, retrouvez leur images ici.
Lek est également co-auteur avec Yko, de Nothing But Letters aux Editions Alternatives / Wasted talents (2009). Il apparaît dans Paris, de la rue à la galerie, par Samantha Longhi et Nicolas Chenus, Pyramid (2011), Hors du Temps de Antonin Giverne (aka Katre), Zoo Project (2004) et dans Kapital, un an de Graffiti à Paris, Alternatives (2001).
Sowat est auteur de Kapital et co-auteur avec Lionel Olives (aka Gris1) de La France d’en bas, le graffiti dans le Sud aux Editions Alternatives (2003). Il apparaît dans Walls and Frames de Maximilliano Ruiz, Gestalten (2012) et Graffiti Argentina, Thames and Hudson (2007).
Lire également l’interview de Lek et Sowat sur Canalstreet et le témoignage de SWIZ.